Notre vision et nos attentes de compétences évoluent fortement sous l’effet des mutations actuelles. Nous vivons dans la disruption. L’accélération des techniques a des conséquences sur la nature et la manière dont se transmettent les compétences.
Tandis que nous fonctionnons encore sur des modèles anciens, les neurosciences nous éclairent sur les processus neuronaux et nous ouvrent de nouvelles clés de compréhension de l’humain, de son potentiel et de ses limites.
Au cœur de l’action, avec des objectifs de résultat, vous vous interrogez : Comment faire face aux besoins nouveaux de compétences qui émergent ?
Dans la disruption
Philosophe et écrivain, Bernard STIEGLER publie en mai 2016, un ouvrage majeur, “Dans la disruption. Comment ne pas devenir fous ?”
Il publie aussi de nombreuses vidéos, dont le langage est plus accessible au grand public.
B. STIEGLER dirige l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) qu’il a créé au sein du centre Georges-Pompidou. Voir la fiche Wikipédia de B. STIEGLER.
DES SIECLES DE TEMPS LONG
« Dans la disruption” repose sur un constat historique : depuis l’origine, les sociétés se développent à partir de techniques. L’invention du fer, de la roue, du moteur à explosion, de l’électricité, etc. ont marqué des d’époques bien identifiées.
L’usage que l’on faisait de ces techniques durait suffisamment longtemps, environ un siècle ou deux, avant qu’une autre technique apparaisse. Ce temps laissait aux humains le temps de s’y habituer, de se les approprier et de concevoir des applications de toutes sortes.
Chaque époque était caractérisée par une histoire, une culture, des manières d’être et de faire auxquelles on pouvait s’identifier. Ainsi, avons-nous connu l’époque du cheval de trait, celle du bateau à vapeur, celle des grandes découvertes maritimes, des premiers chemins de fer, etc.
Ce temps long permettait la transmission générationnelle. A chaque génération, les métiers progressaient et les progrès se transmettaient. Avec eux, les valeurs, le sentiment d’appartenance, la fierté.
LA DISRUPTION
Notre époque est en rupture avec ce temps long. Les innovations technologiques incessantes créent des ruptures profondes et répétées car les techniques se succèdent à une vitesse telle que nous n’avons pas le temps de nous y adapter. C’est la disruption.
A peine maîtrisons-nous l’usage de l’iphone 7 que déjà le 8 est sur le marché, puis le 9 et maintenant le 10. Qui parmi vous est capable d’utiliser toutes les fonctionnalités de son smartphone ? Et personne n’est en mesure de distinguer parmi le foisonnement d’innovations dont nous sommes quotidiennement informés, celles qui aboutiront et verront réellement le jour.
DES EFFETS DESTRUCTEURS
Outre l’instabilité qu’elle génère, cette disruption crée un sentiment d’inadaptation, un manque de confiance dans l’avenir, des peurs et un stress important. Elle n’offre pas, sauf exception, de motifs d’identification positive à l’époque.
La transmission générationnelle, devenue inutile, disparaît, laissant les anciens avec un sentiment amer et les jeunes démunis face à un avenir qu’ils ne maîtrisent pas.
LA RECHERCHE DE LA PERLE… DE PLUS EN PLUS RARE
Le profil des compétences recherchées est profondément impacté par ce phénomène. Il y a moins de différence entre les compétences du maréchal ferrand de l’époque et celles d’un soudeur d’aujourd’hui qu’avec celles d’un community manager.
Sous l’effet des modifications de l’environnement, (innovations technologiques, numérisation, attentes nouvelles des consommateurs), les compétences recherchées se complexifient. On attend aujourd’hui d’un professionnel qu’il s’adapte à des situations de plus en plus variées avec des publics de plus en plus différents. On veut qu’il soit motivé, ouvert, créatif.
Les recruteurs recherchent des compétences dont ils pensent qu’elles vont devenir indispensables. Ils raisonnent comme si le marché du travail et le système de formation, tel qu’ils fonctionnent actuellement, étaient en capacité de produire en continu des compétences nouvelles.
Mais ça n’est pas le cas. En additionnant des compétences de plus en plus rares et variées, on en arrive à rechercher des profils qui n’existent pas et à effrayer d’éventuels candidats.
LA PLASTICITE CEREBRALE
Les neurosciences nous informent depuis plusieurs années sur la manière dont se construisent les compétences et la personnalité.
A l’adolescence, le cerveau se spécialise en développant les circuits neuronaux que nous utilisons le plus souvent. C’est ainsi que la compétence se construit par l’entraînement et la répétition. Ce processus fait de nous des experts, non des généralistes.
C’est ce phénomène de spécialisation cérébrale, nommé « plasticité cérébrale » que décrit Céline ALVAREZ dans la vidéo ci-dessous : « Le développement du cerveau de l’enfant. La création des connexions cérébrales chez l’enfant. » Source : https://www.celinealvarez.org
Voir la vidéo de Céline ALVAREZ » Plasticité cérébrale »
LA SEGMENTATION DES ETUDES
A terme, votre cerveau se spécialise et vous aussi. Vous développez plutôt les compétences du cerveau gauche ou celles du cerveau droit.
C’est sur le modèle de la spécialisation que reposent les principes fondateurs du taylorisme. C’est cette segmentation même qui a permis la performance industrielle du XXè siècle. Les études et les formations d’alors ont été conçues sur la base de distinctions par domaine : on étudie le droit, la médecine ou la psychologie. Cette division correspond à l’organisation de l’entreprise structurée par secteurs et par fonctions.
Mais brusquement, tandis qu’après des années d’études vous êtes devenu(e) spécialiste dans un domaine, on vous demande d’évoluer et de développer des capacités dans un autre domaine.
DES INJONCTIONS PARADOXALES
Savez-vous que les injonctions paradoxales rendent fou (Folle) ? Elles sont une des sources de stress les plus violentes car elles entraînent la perte de l’estime de soi et une forte angoisse.
C’est pourtant ce que l’époque nous fait subir. Nous voulons des techniciens relationnels, des managers efficaces et pratiques, à l’aise avec les concepts, des personnes concentrées et communiquantes.
Lorsqu’on demande à des collaborateurs des comportements ou des pratiques qu’ils ne peuvent adopter, ils reçoivent ces injonctions paradoxales comme des coups.
LA QUETE IMPOSSIBLE DU « EN MEME TEMPS »
Nous vivons à l’époque du « En même temps ». Idéalement, nous recherchons des profils de personnes offrant des compétences qui associent des aires cérébrales qui ne sont pas habituées, pas configurées (pas formées) pour travailler ensemble.
Certains y parviennent, parce qu’ils y sont entraînés depuis l’enfance et ont suivi des études qui le favorisent, d’autres n’y parviennent pas et n’y parviendront jamais.
Nous voulons :
- La performance individuelle, le goût de la compétition (cerveau gauche) et la coopération (cerveau droit),
- L’obéissance et la verticalité, l’efficacité organisationnelle (cerveau gauche), l’innovation et la créativité (cerveau droit),
- La rentabilité économique (cerveau gauche) et du sens (cerveau droit),
- Des solutions pour le temps court (cerveau gauche) et des projections pour le temps long (cerveau droit).
Nous voulons conserver les bénéfices de la performance industrielle et développer en même temps des pratiques qui nécessitent du temps et de l’attention.
Le résultat est qu’on devient fou. Les plus sages d’entre-vous se protègent en attendant que l’orage passe. Les autres développent un stress tel qu’il finira par abimer leur système nerveux.
RESPECTER LES LIMITES
Depuis des années, nous enseignons, valorisons, des compétences de type « cerveau gauche ». Elles sont facilement transmissibles. Ces savoirs peuvent être produits en masse et leur transmission est bon marché : organiser, hiérarchiser, agir par étapes, (segmentation des tâches), faire des listes, utiliser les outils informatique et numériques.
Cliquer est devenu une pratique universelle. On oublie que chaque fois que nous cliquons, c’est que quelqu’un d’autre a opéré des choix à notre place.
Mais les compétences du cerveau droit, actuellement si appréciées, ne sont pas transmissibles : rêver, inventer, projeter dans l’avenir, collaborer, aimer les autres. Elles se développent par la pratique et l’expérience.
La plasticité cérébrale conditionne aussi les modèles relationnels, car, tandis que le cerveau gauche est le lieu du contrôle et de l’obéissance, le cerveau droit est celui de l’insubordination et de la liberté.
Sans des modifications profondes de nos systèmes et de nos représentations, ces attentes de transformation rapide sont illusoires. Il faut un peu de temps pour modifier les circuits neuronaux.
DES DIFFICULTES A RECRUTER QUI S’ANNONCENT
Des difficultés à recruter commencent à s’annoncer.
Lire l’article de regionsjob.com “La France va manquer de 1,5 millions de salariés d’ici 2030″.
C’est une étude de Korn Ferry, cabinet américain spécialisé dans le recrutement de cadres dirigeants, qui le révèle, s’appuyant sur des données fournies par l’OCDE et l’OIT, l’Organisation internationale du travail.
LES SOLUTIONS POUR LE TEMPS LONG
Comme toutes les ressources, les compétences sont limitées. Les années qui viennent vont nécessiter de nouveaux profils et de nouvelles compétences.
Les solutions viendront de la remise en cause des modèles hérités du XXe siècle, d’une profonde modification du système éducatif, (qui commence à s’amorcer) du système de formation, et des organisations elles-mêmes.
Certaines écoles, certaines universités proposent déjà des pédagogies du projet « cerveau total » qui ne privilégient pas seulement la performance individuelle mais aussi le travail d’équipe, l’autonomie, la créativité.
EN ATTENDANT LES ROBOTS
Il faut un peu de temps et de travail pour développer de nouveau circuits neuronaux, mais c’est possible. C’est d’ailleurs ce qui se produit déjà, génération après génération.
En attendant les robots qui constitueront à n’en pas douter des solutions efficaces et bon marché pour toutes les tâches répétitives, il faut continuer à travailler avec des êtres humains, sans doute irremplaçables.
Améliorer, professionnaliser les pratiques de recrutement, de formation, le management et la formation des ressources internes restent un défi majeur.
DE NOUVEAUX MODELES A CONSTRUIRE
La question qui s’amorce est : « De quoi avez-vous le plus besoin pour le temps court et pour le temps long ? »
L’être humain, pris individuellement connaît des limites, inscrites dans le fonctionnement même du corps et du cerveau. Par ailleurs, rappelons que ce sont les systèmes qui produisent la performance et non les individus. Nos systèmes sont à bout de souffle.
Mais la collaboration entre humains, elle, ne connaît pas de limites. En très grand nombre, les expériences de travail ou d’échanges collaboratifs sont une réussite. De nouveaux modèles sont en train de naître.
Vous doter demain des compétences adaptées consistera à identifier les compétences-clés indispensables à vos activités. Vous pourrez alors hiérarchiser les besoins, réfléchir à la fréquence de ces besoins et aux divers moyens d’obtenir satisfaction.
Il vous sera peut-être possible de trouver les ressources sur le marché mais vous pourrez aussi les mutualiser en vous appuyant sur la compétence collective, ou les produire en interne, par la mise en place de partenariats avec des organismes de formation ou des experts.
POUR ALLER PLUS LOIN…
EVALUER LA COMPETENCE
Retrouvez dans notre dossier thématique « Evaluer la compétence » la méthode pour évaluer les compétences en pratique.
SAVEZ-VOUS QUELLE EST VOTRE PREFERENCE CEREBRALE ?
Utilisez-vous plus fréquemment votre cerveau gauche ou votre cerveau droit ?
Pour le savoir regardez la vidéo de Mai ICHEM Groupe Evolution et faites le test.
SIX SCENARIOS D’UN MONDE SANS TRAVAIL
Lire l’article du CNRS : « six scénarios d’un monde sans travail ».
Et l’article de Jérémy Lamri dans FORBES, PDG de Monkey tie et du Lab RH.L’Homme et son évolution : La réponse de Darwin face aux aux machines.