Comme nous le savons, la question du pouvoir est au cœur des relations humaines. Habitués à appréhender le pouvoir à l’extérieur de nous, nous découvrons aujourd’hui, grâce aux IRM et aux études sur le cerveau, que notre principal agent d’influence vient de l’intérieur : le plus grand des pouvoirs est le pouvoir des émotions.
Le pouvoir des émotions est bien plus grand qu’on ne le pense. Elles nous permettent d’anticiper et sont constitutives de notre intelligence. Elles nous protègent, nous manipulent à notre insu et peuvent nous rendre addict. Alors, pour y voir plus clair, entrons dans le monde des émotions.
E-MOTIONS
Le mot émotion (e-motion) vient du latin « movere » qui exprime l’idée de mouvement, le préfixe privatif « e » indiquant la privation du mouvement. Etymologiquement, le mot émotion nomme ce qui nous empêche de continuer à vivre comme auparavant. Leur rôle est de nous alerter si fortement que nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte car elles s’imposent à nous, avec force. Ne dit-on pas « bloqué par la peur », « fou de colère » ou « mort de rire » ?
COMPRENDRE LES EMOTIONS
Il existe de nombreuses émotions. (Voir la page Wikipédia). En marketing ou en management, on s’intéresse surtout aux 4 émotions de base que sont la peur, la colère, la tristesse et la joie, auxquelles s’ajoutent les émotions plus complexes que sont la honte, la surprise et le dégoût.
Le pouvoir des émotions est grand car elles nous renseignent sur nos besoins profonds. Leur message est clair : stop ! Il se passe quelque chose à l’extérieur de nous qui remet en cause notre équilibre interne ou nous prévient d’un danger.
Chaque émotion exprime une demande de changement : la peur demande de se protéger, de fuir ou de se défendre, la colère indique qu’une limite a été atteinte et que « ça ne peut plus continuer ainsi. » La tristesse appelle une consolation tandis que la joie est faite pour être partagée.
Reconnaître les émotions, celles des autres comme les siennes propres est, dit-on, le début de la sagesse. Pourtant, pendant des siècles, on nous a appris à les dénier, à ne pas en tenir compte. Longtemps associées à de la faiblesse de caractère, elles constituent pourtant une grande force et sont une manifestation essentielle de la vie.
A QUOI SERVENT LES EMOTIONS ?
Le rôle des émotions est de nous protéger en nous alertant. A l’oeuvre dans les situations de stress, leur fonction est de nous préparer à la fuite ou à la lutte en cas de danger. Des études récentes sur les traumatismes et notamment, le viol et le stress post-traumatique, montrent qu’une très grande frayeur peut aussi générer de la stupeur, qui nous bloque littéralement sur place, nous empêchant par là-même de nous défendre.
David SERVAN SCHREIBER, médecin et psychiatre français est l’un des premiers à porter à la connaissance du grand public des informations sur les mécanismes du cerveau en situation de stress, et sur l’importance des émotions.
Voir la vidéo « LE CERVEAU EMOTIONNEL »
LE ROLE PREDICTIF DES EMOTIONS
On connaît depuis longtemps le rôle d’alerte des émotions mais ce que l’on découvre avec les IRM, c’est qu’elles sont une composante majeure de notre intelligence.
En 2018, le grand spécialiste du cerveau Stanislas DEHAENE, publie avec Yann LE CUN et Jacques GIRARDON, « La plus belle histoire de l’intelligence ».
S. DEHAENE est chercheur en psychologie et en neurosciences cognitives et Président du Conseil scientifique de l’Education Nationale. Il dirige le centre NEUROSPIN, l’un des plus grands centres internationaux d’imagerie cérébrale. Voir le site de NEUROSPIN.
Yann LE CUN est Professeur à l’université de New York et directeur du centre de recherches en intelligence artificielle de Facebook.
Jacques GIRARDON est journaliste et écrivain, grand reporter à L’Express et rédacteur en chef de Sciences et Avenir.
Et qu’affirme S. DEHAENE ? « Que l’intelligence est la capacité à prédire et que les émotions sont un moyen de cette prédiction ». Etre intelligent, c’est anticiper, prévoir afin de mieux se préparer à ce qui va advenir.
Citons de courts extraits du livre. Les questions sont posées par Jacques GIRARDON et les réponses sont celles de S. DEHAENE.
« Qu’est-ce que l’émotion ? »
« Les émotions naissent lorsque des demandes sont faites (des attentes existent), qui ne sont pas encore satisfaites où dont on sait qu’elles vont être satisfaites ou pas, c’est cela qui engendre une émotion ».
L’émotion naît du rapport entre un besoin et sa future satisfaction ?
« L’émotion est l’anticipation de quelque chose qui va se réaliser ou pas. Bientôt Noël ? On anticipe que de bonnes choses vont se passer » … « Il peut exister un autre type d’anticipation : on est menacé, et comme il y a une incertitude sur le résultat de la menace on a peur. La peur est l’anticipation de quelque chose de mauvais créé par l’incertitude ».
D’où l’angoisse de ne pas savoir de quoi on a peur ?
« On a plus peur de l’inconnu que du connu : une fois qu’on sait qu’on a perdu, la peur disparaît, on est résigné. De nombreuses émotions sont immédiates comme la douleur physique, d’autres résultent d’anticipations c’est-à-dire de la prédiction qu’un objectif va prendre telle ou telle valeur, comme l’anticipation de la douleur physique juste avant une chute prévisible ou dans la salle d’attente de son dentiste. »
… « Les émotions, en grande partie, nécessitent la capacité de prédire. Beaucoup de tâches intelligentes nécessitent d’ailleurs la capacité à prédire. Comme je le dis souvent la capacité à prédire constitue l’essence même de l’intelligence.
« Qu’est-ce que l’intelligence ? »
« Je parlerais plutôt des 3 piliers de la stupidité et je dirais qu’ils ont 3 composantes principales :
- Une réserve de bonnes fonctions d’objectifs (de critères pour déterminer la meilleure solution à un problème), qui guide nos motivations nos actions, notre sens moral,
- Un modèle du monde qui nous donne une capacité à prédire,
- Une aptitude à déterminer des actions permettant de satisfaire l’objectif en accord avec nos prédictions.
« Ce sont les 3 conditions nécessaires pour être classé comme intelligent ? »
Je dirais même que l’on peut être stupide de 3 manières : ne pas prévoir ce qui va se passer parce que l’on a un mauvais modèle du monde, ne pas être à même de planifier une séquence d’actions menant à un résultat particulier même si notre prévision était correcte et avoir des fonctions d’objectifs qui ne sont pas les bonnes comme par exemple être égoïste, être conditionné à gagner de l’argent sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre ou avoir des fonctions d’objectifs de sociopathe contraires au bien commun.
« Est-ce cela qui vous fait dire que la capacité à prédire est l’essence même de l’intelligence ? »
« Oui.» … « Une personne maligne se sortira d’un mauvais pas, une personne intelligente ne s’y mettra pas».
COMMENT PRENONS-NOUS NOS DECISIONS ?
En replaçant les émotions à l’origine de nos actions, les neuroscientifiques associent 3 mécanismes, (Je cite) :
- « La perception d’une situation, qui se fait d’abord par le corps et les sensations agréables ou désagréables qu’il ressent,
- L’anticipation d’une situation que l’on imagine en fonction de notre vécu et notre conditionnement et non dans sa réalité du moment,
- La production d’une émotion dont le rôle essentiel est de nous faire prendre conscience de l’état particulier que nous vivons à l’instant T. »
Si l’on en croit S. DEHAYNE, Il est assez logique alors de conclure que nous ne prenons jamais (ou presque jamais) de décisions sur la base d’une réflexion rationnelle et consciente puisque c’est l’émotion qui guide nos actions, elle-même conditionnée par notre imaginaire inconscient.
Quand nous avons peur, nous sommes souvent loin de voir la réalité telle qu’elle est : nous sommes soumis à un imaginaire négatif, fruit d’expériences antérieures douloureuses. Il en est de même pour nos anticipations positives : nous attendons une expérience agréable et sommes parfois déçus par la réalité.
L’IMPORTANCE D’UN MODELE DU MONDE POSITIF
La question du réel se pose aux philosophes et aux chercheurs depuis l’origine de l’humanité. Nous savons maintenant que le réel n’existe pas en tant que tel, chacun ayant sa propre représentation du monde, sa propre interprétation, sa propre vision.
S’il est relativement facile de décrire un objet parce qu’il est palpable, mesurable, qu’il a une forme, un poids, une couleur, une odeur, bref, qu’il est possible à nos 5 sens de l’appréhender, il n’en n’est pas de même avec ce qui relève de notre imaginaire ou de notre vision du futur. Dans ces domaines, le réel existe dans la mesure où nous le produisons.
LE ROLE ESSENTIEL DE L’ENVIRONNEMENT
Comme nous l’avons évoqué dans l’article « LE COMPLOTISME », notre modèle du monde se construit par l’expérience, sous l’influence de l’environnement qui peut se révéler positif ou négatif.
LE MANAGER INFLUENCANT
Face au ressentiment, aux thèses complotistes ou tout simplement à la baisse du moral des équipes, le manager et les dirigeants ont un rôle à jouer, en tant que facteur influençant. Ils peuvent aider les équipes à garder le moral en valorisant les aspects positifs des situations vécues et en encourageant la construction collective d’un futur positif.
Personne ne peut vraiment préjuger de l’avenir mais il nous est pourtant impossible de ne pas chercher à le faire. Alors, allons-nous sombrer dans une vision apocalyptique du futur et fantasmer une époque noire ou pensons-nous que nous allons trouver des solutions aux problèmes et relever les défis qui se présentent ? Nul n’en sait rien. Ce que l’on sait, c’est que ces projections, qu’elles soient positives ou négatives, sont des produits de nos imaginaires et de nos émotions.
Sachant cela, il nous est possible de prendre un peu de recul, de prendre en compte nos émotions, de les écouter et de tâcher de régler les problèmes comme ils se posent.
ACCOMPAGNER LE PROCESSUS DE DEUIL
Le deuil est l’expérience humaine la plus douloureuse et la plus forte en émotions et toute perte est un deuil. La période que nous vivons est celle de la perte d’un grand nombre de nos illusions.
Nous changeons d’époque. Les temps à venir vont nous conduire à faire le deuil d’illusions passées : celles d’une planète aux ressources inépuisables, du progrès technique comme solution à tout, du déni des effets du réchauffement climatique, des phénomènes migratoires qui s’annoncent, etc. Et nous avons peur. Peur de l’inconnu, peur de ne pas y parvenir, peur des autres humains en qui nous n’avons pas confiance.
Ces peurs s’expriment partout, au quotidien, dans les familles, la société, les entreprises. Le manager, le formateur sont souvent démunis face aux réactions émotionnelles de leurs collègues ou de leurs clients.
Le deuil est un processus au cœur duquel se situent les émotions : La perte occasionne un choc terrible dont le cerveau se protège naturellement grâce aux mécanismes du déni : « Mais non, ce n’est pas possible, on va traverser la crise et après, tout sera comme avant ».
La colère survient lorsqu’on commence à sortir du déni et que l’on recherche des responsables : « les politiques, les riches, les GAFA, l’Europe… » , bref, tout le monde, sauf nous.
La peur arrive quand on comprend qu’il va falloir avancer et trouver des solutions nouvelles. S’adapter soulève la crainte de ne pas en être capable car il va falloir le faire ensemble, et cela, nous ne savons pas faire. C’est en tout cas, ce que nous croyons, mais c’est sans compter sur nos formidables capacités d’adaptation.
Lire « ACCOMPAGNER LE PROCESSUS DE DEUIL».
RETROUVER LE PLAISIR
Alexander LOWEN, psychiatre américain, créateur des techniques thérapeutiques fondées sur la bioénergétique, a consacré sa carrière à montrer comment les émotions impactent le corps jusqu’à provoquer des maladies avec des répercussions sur le corps.
Dans son formidable livre « LE PLAISIR », il montre que le plaisir est une énergie, l’énergie même de la vie.
RECONSTRUIRE
Ainsi donc, les émotions sont-elles au cœur de notre intelligence. Les émotions négatives se manifestent au début du processus de deuil, mais ensuite ? La dernière étape du processus est celle de la reconstruction, avec le retour du plaisir.
Comme les autres émotions, la joie est constitutive de notre intelligence, elle est indispensable à notre survie car elle nous indique les directions à suivre, là où est le plaisir. De la même manière que nous ne pouvons vivre sans imaginaire, nous ne pouvons pas non plus, vivre sans joie.
Et si le réel n’existe pas, si « la colère et la peur sont mauvaises conseillères » alors, peut-être est-il permis d’espérer retrouver collectivement du plaisir tout en écoutant au mieux nos émotions ?
Pour aller plus loin…
C’est en s’appuyant sur la théorie des 3 cerveaux que Jacques SENECAL, philosophe et enseignant, traite de la difficulté d’aimer. Le cerveau de l’homme dit-il, comporte trois parties : l’hypothalamus, le système limbique et le néocortex. Chacune d’elles a son principe actif particulier : instinct, mémoire, imaginaire; chacune, son orientation temporelle : présent, passé, futur. Ce sont là les trois enracinements de la pensée, de l’action et des sentiments, au premier chef desquels le désir et le phénomène amoureux ». « LE CERVEAU AMOUREUX » est un ouvrage plein d’humour et de sagesse qui nous invite au voyage… à l’intérieur de nous-mêmes.
Pour vous reconnecter à votre puissance personnelle, lire les articles du blog :
Pour optimiser les relations avec vos équipes :